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"Etrangers chez nous"



Fadi B.* est originaire de Deir ez-Zor, une ville située à l’est de la Syrie, sur les bords de l’Euphrate. Fadi fait partie de la minorité chrétienne (8%) de Syrie qui, depuis la révolution de 2011, fuit les rebelles islamistes s’opposant au régime el-Assad et les djihadistes de Daech. Arrivé en février dernier à Pau, il nous livre aujourd’hui son témoignage.


Fadi T.* est irakien, il a quitté la cité de Mossoul le 8 juin 2014, veille de la prise totale de la cité par Daech. Lui aussi est chrétien. Contraint à partir, son périple prend fin le 11 juillet dernier lorsqu’il atterrit sur le sol français.

 

Enfin, cet entretien n’aurait pu se faire sans la traduction de Sandy S.*, arrivée d’Irak il y a 6 ans.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bienvenue Fadi(s) !
Pouvez vous, pour commencer, nous décrire votre vie de chrétien avant l’explosion de l’islam radical en Syrie et en Irak?


F.B. : Il n’existait aucune différence entre chrétiens et musulmans. Le régime de Bachar-el-Assad ne s’opposait pas à la chrétienté, nous pouvions donc pratiquer notre religion sans crainte.
F.T. : On habitait tous ensemble, il n’y avait pas de problèmes concernant la religion en général…

 


A partir de quel moment vous êtes vous sentis menacés ?

F.B. : En 2011, avec la révolution, l’islamisme radical s’est emparé de la rébellion populaire. Alors, comme nous étions considérés, nous chrétiens, comme protégés par Bachar-el-Assad nous avons commencé à sentir de l’animosité de la part des « rebelles ».
De plus, le terrorisme devenait de plus en plus menaçant, les attentats se multipliaient envers les chrétiens. L’armée, qui est intervenue, ne faisait pas régner l’ordre et contribuait au chaos ambiant. J’ai donc quitté Deir ez-Zor en voiture pour un village situé à une soixantaine de kilomètres. Je m’y suis établi quelques temps jusqu’à ce que la situation s’envenime. Alors j’ai rejoint Damas, puis Beyrouth, Paris et enfin Pau.

 


F.T. : Le 8 juin 2014, ma famille et moi avons été dénoncés aux islamistes. Nous avons appris par la suite que c’était nos voisins qui nous avaient trahis… Les islamistes nous ont rassemblés dans l’hotel Ninawa, l’un des plus célèbres de Mossoul et nous avons dû céder tous nos biens à Daech.

Quelques jours plus tard je fuyais ma ville pour Al-Koch, chez mon oncle, pour ensuite rejoindre Qaraqosh, au Nord et entamer les démarches administratives pour venir en France.

 


   Certains de vos proches sont-ils restés ?

F.B. : Oui, ma sœur et ses enfants vivent encore en Syrie, à Homs. Bien que Daech n’y soit pas officiellement implanté, beaucoup de « partisans » de l’organisation terroriste vivent dans cette province. Elle ne peut donc pas sortir sans son mari, il y a toujours des risques, surtout pour les femmes…

F.T. : Moi mon oncle vit toujours à Al-Koch, un village chrétien situé à une cinquantaine de kilomètres de Mossoul, ils résistent toujours aux djihadistes.

 

 

   Votre intégration en France s’est elle bien passée ?

F.B. : Oui, pour une première étape c’est très bien ! On verra pour la suite…

F.T. : Oui, très bien pour moi !

   Quelles furent vos impressions quant aux réactions européennes concernant, par exemple, les accusations visant Bachar-el-Asaad en Syrie ou l’essor de Daech en Irak en 2013-2014 ?

F.B. : À partir de 2011, date de la révolution, nous avons senti en Syrie que tout était fini pour nous. Un sentiment d’abandon par conséquent..

(Fadi, ému, me montre une des vidéos qu’il a pris en 2011 : celle ci met en scène des rebelles islamistes qui font exploser sa maison et ravagent l’atelier de son père devant ses yeux.)

Concernant les accusations visant Bachar, rien n’est prouvé. Je pense que pour les dirigeants la guerre est un grand jeu, auquel s’appliquent des règles qui ne sont parfois pas les plus humaines…

F.T. : Je ne l’ai pas vécu exactement comme ça. Evidemment le choc est très dur, mais nous nous sentions soutenus par les différentes ONG française, anglaise et américaine présentes sur place.

   D’après vous de quoi est né Daech ?

S.S. : J’étais contre l’intervention irakienne des Etats-Unis en 2003. Sadam Hussein était un dictateur mais il maintenait une certaine sécurité au sein de notre peuple. C’est depuis sa chute que cela s’est empiré…

   En février dernier, un groupe de députés français a, dans le cadre d'une initiative isolée, rencontré Bachar-el-Assad pour essayer de renouer les liens avec ce dernier. Comme eux, quelques politiques imaginent une éradication de Daech par Bachar, qu’en pensez vous ?

 

F.B. : C’est le bon choix ! Après avoir supprimé Daech de Syrie, il reviendra au peuple de décider s’il doit garder le pouvoir, mais pour le moment, c’est un choix incontournable dans la lutte contre le terrorisme. Une force étrangère seule n’y parviendra pas.

 

   François Hollande a annoncé en conférence de presse qu’il allait lancer de nouvelles frappes aériennes en Syrie. Pensez vous que les occidentaux doivent s’engager de manière plus directe dans ce conflit ?

F.T. : Oui. Beaucoup de gens n’ont pas notre chance et restent en Irak ou en Syrie où ils subissent le diktat Daech. Pour eux, les Etats occidentaux doivent lutter avec plus de virulence contre Daech.

S.S. : Pour moi, au début je n’étais pas pour. Le passé, notamment l’intervention américaine en 2003 nous avait prouvé qu’une intervention extérieure pouvait être source de déboires. Mais maintenant il le faut. La lutte doit « déraciner » Daech du Moyen-Orient, cela passe par une intervention directe et puissante. Sinon ça va continuer… Pour moi Daech est une sorte de cancer, si la chimiothérapie n’intervient pas, il se développe et devient mortel.

   Les frappes aériennes ne suffisent donc pas ?

 

S.S. : Non. Daech doit être frappé partout, par tous les moyens. Les islamistes reçoivent des aides venant de pays arabes, pourquoi nous ne recevrions pas une aide de nos alliés ?

   Pensez vous un jour retourner en Irak et en Syrie ?

F.B. : Peut être un jour, si le calme revient, je reviendrai visiter mon pays… Mais jamais plus je n’y vivrai. La Syrie est morte, je n’ai plus d’espoir pour ce pays.

S.S. : Jamais je ne reviendrai en Irak, même dans 100 ans, le pays a été détruit par ses racines. Tout ceux qui ont façonné ce pays ont soit été assassinés par Daech ou ont quitté l’Irak. De plus il restera toujours cet échec de la collaboration entre chrétiens et musulmans…  Nous ne pourrons pas revenir comme avant.

   Pensez vous qu’un jour la démocratie puisse exister au Moyen-Orient ?
(Rire général)


S.S. : On est loin…
F.B. : Non, non… Les peuples du Moyen-Orient ne sont pas « aptes » à la démocratie

   J’imagine que vous avez entendu parler des vagues entières de migrants qui traversent la Méditerranée depuis ces derniers mois. Qu’en pensez vous ?


F.T. : Sans compter le danger que représente la traversée de la mer Méditerranée en bateau de fortune, tous ces migrants n’ont aucune garantie d’accueil en Europe. De plus l’argent demandé par les passeurs représente une somme énorme et surdimensionnée pour des familles de fortune (très) modeste. La solution serait de passer par une immigration légale et contrôlée donc sécurisée…

   Que peut-on faire, concrètement, pour vous aider vous directement et ceux qui sont restés là-bas ?

F.B. : Pour moi, j’ai eu la chance de venir ici, je ne peux rien demander de plus. Je ne veux qu’une seule chose : multiplier les procédures pour faire venir tous ceux qui sont restés et ainsi supprimer tous ces trafics et passeurs de fortune qui tuent chaque jour…

 


   Un mot pour finir ?

F.B. : La France est un pays de tradition chrétienne. Pour cela, les autorités doivent se mobiliser et se porter au secours des populations chrétiennes d'Orient.

 

   Merci !

*Afin de protéger l'anonymat et la sécurité des personnes interogées nous avons préféré ne pas dévoiler leur nom de famille.

 

Note : Dans une de ses vidéos datant du mois d’avril dernier, Daech expose sa politique vis à vis des chrétiens : la conversion, le statut de dhimmi (taxes supplémentaires), la fuite ou la mort.

La chrétienté est présente en Syrie et en Irak depuis le Ier siècle après J-C, quand le Coran apparaît au VIIéme siècle. Ce qui vaut à Sandy l'expression : "Etrangers chez nous"

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